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.: Tempête :.
TEMPÊTES…. TEMPÊTE…
Les bords de mer, les îles, à plus forte raison, vivent avec le temps.
Au rythme de la météo.
Les estivants ne connaissent, en principe, que l’aspect riant de nos rivages. Le doux ressac, le soleil qui se lève calmement derrière l’île d’Arz, se couche en embrasant Berder, le vent dont on aimerait qu’il fraîchisse parfois davantage pour gonfler les voiles : c’est l’île quasiment au quotidien durant « la saison ».
Mais il est d’autres saisons…
Et si l’on parlait TEMPÊTES ?…
Dieu sait si l’île en a connu, des tempêtes.
Le cupressus que l’on retrouve couché dans son champ en arrivant en vacances, les ardoises envolées, et bien d’autres signes, témoignent d’activités météorologiques inimaginables, derrière le dos des îlois de l’été..
_ « Vers les années 44 - 45, raconte Janine Cario dans un court récit intitulé Tornade, en une fin d’après-midi d’automne, un champignon s’est élevé de la mer, au large de la plage, et s’est abattu sur presque toute l’île. Il y eut beaucoup de dégâts dans les bois et les talus, ce qui fut une aubaine pour beaucoup d’entre nous qui n’avaient pas de combustible… Je me souviens qu’avec mon père, nous étions descendus au Prado. Nous avons coupé et transporté pas mal de bois, de quoi nous chauffer tout l’hiver. A quelque chose malheur est bon… »
« _ Imaginez, nous dit André Lochu, en 1994, j’ai dû demander à Gilbert de me transporter à Port Blanc à 2 heures du matin. Quand on est malade, c’est souvent à cette heure que les choses se gâtent. L’ambulance attendait de l’autre côté. Il y avait un vent terrible cette nuit là, les vagues se déchaînaient, Gilbert ne pouvait coller sa vedette à la cale. J’étais sur le brancard des pompiers, et je l’entendais dire à mes porteurs d’enjamber quand la vedette serait à 20-30 centimètres du quai…Je n’en menais pas large… Ca s’est bien passé. Mais il faut vraiment aimer l’île pour y rester toute l’année… »
Yvonne Ehanno, quant à elle, se souvient de l’année 1947. Elle était jeune.
« On était allé au cirque à Vannes. Un vent terrible. Louis, le passeur, avait été obligé – car à cette époque, on embarquait encore à la cale du Bois d’Amour - , de venir nous prendre en dessous de San Francisco, face au grand pont, tellement la grande cale, étroite à cette époque, interdisait l’accostage… Enfin, nous avons pu quitter l’île, prendre le car à Port Blanc, et assister au spectacle, sous un chapiteau qui menaçait de s’envoler à tout moment.. Retour à la nuit, nous avons trouvé à Port Blanc un calme plat, une mer d’huile… Avions-nous rêvé ? »…
Ainsi va la mer..
Richard Guy évoque une autre tempête _étaient-ce les prémices de l’ouragan de 87 ?. _ où, avec Raymond Le Mauff, il fallait, le long de la route sous le Cap Horn, débarquer les passagers de la vedette. Elle ne pouvait accoster à la cale, et le ponton de bois se balançait bien au-dessus du niveau de la chaussée… La mer recouvrait tout. Le taxi dut jouer les véhicules amphibies afin d’aller cueillir les îlois qui voulaient retrouver leur terre ferme… Inutile de dire que les opérations ne se firent pas en un seul aller-retour !…
« J’avais 5 ans, se souvient Joël Jégo. Un vent terrible. Je regardais par la fenêtre de la maison à la Pointe de Brouël. Le bateau d’ostréiculteur de mon père avait rompu l’amarre et partait à la dérive. Quand le vent est tombé, emmené par Job Robigo, mon père est allé jusque sous la Pointe de Berno à l’Ile d’Arz, le rechercher. Je n’ai jamais oublié… »
L’île se mérite. Qui ne l’a pas connue par gros temps ne la connaît pas vraiment.
Certes, la nôtre est protégée au milieu de sa « petite mer ». Havre de sécurité, parfois trompeuse, qu’on a hâte de regagner lorsqu’ il arrive de se trouver au large et que le coup de chien s’annonce.
Comme cette année-là….
Cette année-là, c’était 1967…
Le 12 mars, exactement, une date qu’aucun îlois n’a oublié.
Trente cinq ans cette année.
« Il ne s’agissait pas de laisser notre équipe îloise aller toute seule affronter Houat, sans la soutenir de nos encouragements.. » ainsi commence la narration de Laurent Marion.
« C’est donc à 90 au moins que nous sommes partis de l’Ile-aux-Moines, à bord du « Ville de Vannes », un bon bateau, patron-armateur François Cartron, d’Arradon, en ce dimanche ensoleillé d’avant printemps, pour disputer le match rituel de football inter-îles.
Embarquement le dimanche matin vers 9 heures et demie à la cale du Bois d’Amour.
La mer se creusait au fur et à mesure que nous faisions route vers Houat, mais l’arrivée eut quand même lieu là-bas aux environs de midi.
Comme d’habitude lors de ces rencontres, le match commença tôt, vers 1heure.
Le terrain de Houat n’est pas des moins pittoresques, du fait qu’il est en pente, et qu’on équilibre les chances des équipes en les changeant de bord.. Question d’habitude.
Mais là, les choses se corsaient..
Au bout d’une demi-heure de jeu, le vent devenait si fort que l’arbitre décida d’arrêter. Notre équipe avait le vent favorable et menait 10 à 0, ce qui était parfaitement injuste. Le ballon venait tout seul se jeter dans le but des Houatais. Et quand le goal dégageait, il rentrait le ballon derrière lui …
Même en inversant les équipes, ce n’était plus du football…
L’arbitre a donc pris la décision de tout annuler, et nous celle de reprendre la mer. A quatre heures, nous étions au bateau.
Tous, sauf une personne qui manquait à l’appel… Elle était allée en exploration dans l’île et s’était égarée.. Le rendez-vous au port était de toute façon prévu pour 17 heures.. C’est finalement l’heure à laquelle F. Cartron, après sérieuse discussion avec les patrons pêcheurs, pensa pouvoir appareiller.
Les Houatais nous confiaient au demeurant, quelques uns des leurs, dont des enfants qui devaient reprendre leurs cours à Vannes le lundi matin. Nous leur évitions ainsi le passage par le bateau de Quiberon…
On nous faisait confiance.
Le « Ville de Vannes » était un bon bateau, construit sur le modèle des chalutiers de 20 mètres faisant la pêche en Irlande, avec 2m50 à 3m de tirant d’eau. C’était parfait pour la Baie de Quiberon. Nous pouvions partir.
Une fois sorti du port de Houat, le bateau a longé l’île pour aller chercher la Chaussée des Béniguet.
Ensuite, cap sur Port Navalo. Vent arrière. Un suroît qui fraîchissait de façon inquiétante.
« Vent de Suroît : doux quand il est sage, devient fou quand il se fâche », nous dit l’Almanach du Marin Breton…
Et il se fâchait.. Une furie… Des creux de 6 à 8 mètres..
Tout le monde ou presque était malade… Une désolation.
« J’étais dans la machine, dit Laurent Marion, à un moment, j’ai voulu sortir ma tête pour voir les vagues. C’est simple, elles étaient à la verticale du côté tribord du bateau. Et il fallait voir les déferlantes que l’on prenait .. »
L’eau passait par dessus l’arrière, emportant les bancs, balayant le pont, rentrant par les toilettes.. .
La peur qu’alimentaient les énormes mouvements du bateau, le vacarme de la tempête, l’odeur nauséabonde et le désastre des estomacs, rendait hagards les passagers, prêts pour certains, à n’importe quoi….
« J’avoue que je me suis mis en travers de la porte plus d’une fois pour en empêcher de faire une bêtise », dit Yvan Le Pluart « et je n’étais pas le seul, Bernard Leroux et Benoît Camenen en ont fait autant… »
Après 3 heures de cette navigation, nous avions atteint, sous la force du vent, la Pointe du Petit Mont. Yvan Le Pluart s’en était rendu compte en identifiant une bouée de casier qu’il connaissait bien…
« Le bateau était solide, il n’y avait pas de surcharge… Je me raisonnais. » dit Laurent Marion.
« Si on ne trouve pas l’entrée de Port Navalo, on est foutu »
Yvonne Ehanno n’a jamais oublié cette phrase de Bernard Leroux..
Nous avons fini par rentrer dans le Golfe.
Là, la relative accalmie incita chacun à sortir. Enfin, de l’air !…
Hélas, tout le monde du même côté des super-structures, à l’abri du vent..
Comment empêcher des malades de chercher un souffle moins nauséabond ?
« J’avisais un plastique qui se consumait dans la machine, dit Laurent Marion, mais vite éteint avec un chiffon par René Boursicot, le mécanicien. Ca finissait quand même par faire beaucoup »…
Sur la passerelle, François Cartron gouvernait campé sur ses jambes écartées que calaient une personne de chaque côté.
L’Ile Longue, Gavrinis, Berder….
Un sale passage entre Berder et Larmor. Une claque de vent nous mit à la gîte…. Le patron, qui gouvernait en jouant sur la puissance des deux moteurs, réussit à redresser doucement le bateau….
Impossible d’accoster à la cale de l’Ile aux Moines, inondée. Le « Ville de Vannes » était trop haut.
Job Thébaut, avec l’ « Ursule », a voulu venir prendre les gens à bord. Yvan Le Pluart a réussi à passer sur l’ « Ursule ». Mais ce fut le seul. Le transbordement ne put se faire de bateau à bateau. La seule solution était donc l’accostage à ce qui était à cette époque le grand parking de Port Blanc.
Après être allés virer jusque sous Irus, nous sommes revenus vers cette cale improvisée. Tout le monde alors, a pu débarquer.
Et d’aller à la Vigie se réchauffer, tenter de téléphoner. Mais il n’y avait plus ni électricité ni téléphone, les routes étaient coupées.
Camille Gouguec, vu le temps, avait arrêté son passage à 5 heures ce dimanche-là, mais il était prisonnier de « La Vigilante ».. François Cartron est allé le délivrer .
Les gens de l’île nous avaient vu arriver. Heureusement.
Ceux qui venaient au devant de nous à la côte recevaient « des pommes de pins comme des grenades » se souvient Eugène Quéré…
« Ca va faire le coup du St Philbert », avait dit à sa belle-fille Laurent Marion- père, resté à terre, mais suivant avec angoisse la tournure des événements..
Sinistre souvenir que celui du « St Philbert », qui, en juin 1931, ramenant de Noirmoutier des Nantais en excursion, avait coulé devant St Brévin, exactement dans les mêmes conditions. Dans les 400 noyés..
La catastrophe s’était inscrite dans les mémoires des gens de la côte…
Non, le coup du « St Philbert » serait épargné aux îlois.
Encore une fois, pas de surcharge, un bon bateau et un bon patron.
L’angoisse, dans l’île, était sans doute beaucoup plus grande qu’à bord du « Ville de Vannes ».
Maurice Bellego se rappelle « qu’un coup de téléphone à Houat avait informé les îlois : le bateau était parti…
Et la tempête se déchaînait. Au point qu’à la pointe du Bois d’Amour, on ne voyait pas l’eau, ce n’était qu’écume blanche… Je n’avais jamais vu un tel spectacle. Toutes les familles descendaient au port, désespérées… »
Job est venu prendre les miraculés à Port Blanc. En deux tours il a ramené tout le monde à la cale du Bois d’Amour.
Inutile d’épiloguer sur l’indescriptible soulagement de l’île dont chaque foyer comptait au moins un membre à bord de « La Ville de Vannes ».
Ainsi se façonne la mémoire des gens de la côte..
Article écrit par Jeannette Michel le 16/06/2003 (lu 5042 - catégorie : Histoire) -
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